La gare, un lieu pour faire communauté ?

La gare TER est aujourd’hui à la croisée des chemins. Alors que le trafic voyageurs ne cesse de croître sur le réseau breton, les bâtiments gares doivent être mis aux normes pour les personnes à mobilité réduite. Face à la vétusté de certaines gares et des usagers qui en milieu péri-urbain ne font désormais que passer pour attraper leur train du matin, la place et le rôle du guichetier sont aussi bousculés. Après deux semaines d’immersion à Montfort sur Meu et dans les gares alentours, force est de constater que le sujet est complexe. Mais les explorations initiées en cette deuxième semaine de résidence nous ont dévoilés quelques pistes intéressantes. Nous vous proposons ici d’explorer l’une d’entre-elles : la communauté d’usagers des gares TER.

 

La gare, un lieu qui fait communauté ?

En quoi des gens qui prennent le même train matin et soir mais qui ne se parlent pas ou peu peuvent faire “communauté” ? Tout simplement parce que la gare TER constitue – dans certaines mesures on va le voir – un lieu qui permet la rencontre, l’échange et l’organisation entre individus qui se connaissent ou du moins s’identifient pour la plupart. Parce qu’aussi une communauté a besoin d’animateurs qui font le lien et renforcent la confiance entre membres ; et si l’agent en gare (ou un usager pourquoi pas) pouvait jouer ce rôle ?

Une communauté d’accord, mais pour quoi faire ? Et bien à l’heure de repenser l’aménagement des gares souvent vétustes, alors que le rôle de l’agent en gare est – sans trop le dire – amené à évoluer, alors les stationnements en gares affichent complets et s’agrandissent toujours plus, une communauté d’usagers ne pourrait-elle pas constituer une partie des solutions ? Tour d’horizon des réflexions en fin de deuxième semaine de résidence.

 

La communauté d’usagers ou la débrouille an cas de problèmes

Mercredi matin, heure de pointe sur la ligne Lamballe-Rennes. Sous la pluie du mois de janvier, les usagers quotidiens apprennent de bon matin que leurs trains quotidiens sont annulés ou ont plusieurs dizaines de minutes de retard. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, mais depuis quelques temps, les retards et problèmes s’accumulent pour ces usagers qui attrapent leur train à la première heure. Résultat : à Montfort sur Meu, l’agent en gare devient médiateur du lieu : hors de son “box”, elle arpente les quais pour informer les usagers en temps réel, ou appelle le lycée pour prévenir du retard d’un étudiant qui n’a plus de crédit téléphonique. On voit là l’importance de l’humain qui “absorbe” les critiques, conseille, dépanne, et qui offre aussi un abri. Car pendant ce temps là à Montauban de Bretagne, point d’agent en gare à cette heure (il n’est présent que l’après-midi) ; les usagers n’ont qu’à se tenir chaud dans la halte ! Autre lieu, autre ambiance : à Breteil, les usagers ne disposent que d’une halte. Comme plusieurs usagers nous l’ont fait remarquer, c’est “bien suffisant quand on attend son train du matin”. Mais quand les problèmes surviennent et qu’il n’y a personne à qui parler, place au plan B : les “usagers connectés” deviennent des personnes ressources et des groupes se forment autour d’eux pour avoir les dernières infos via les applis ; des équipes de covoiturage se forment alors que d’autres prennent seuls leur voiture, malgré les risques de bouchons accentués par les tracteurs des agriculteurs qui bloquent les routes du coin.

Si pour les usagers TER cette matinée du mercredi matin fut très désagréable, pour nous résidents, ce fut une aubaine : observer les usages lorsqu’il y a des problèmes nous en dit long sur les comportements des uns et des autres, leurs stratégies pour arriver au plus vite au travail ou à l’école. On y apprend notamment que les usagers se connaissent – au moins de vue – et que la confiance, ingrédient indispensable au fonctionnement d’une communauté, existe bel et bien. Même si on ne se parle pas en temps normal, on discute, on râle, ensemble, on s’organise même ! L’idée que l’on pressentait, à savoir cultiver une communauté d’usagers en gares TER pour améliorer le service et rendre le lieu vivant, est en partie confirmée. Car c’est peut-être seulement lorsqu’il y a de perturbations que cette communauté a du sens ?

 

La communauté d’usagers, vecteur de lien social ?

“Lorsque je prends le train le matin, j’arrive quelques minutes avant le départ et je n’ai envie de parler à personne”. On a souvent entendu ces paroles d’usagers mais on a aussi relevé des phrases comme : “les gens se connaissent de vue mais ne se parlent pas” ou “ça manque d’animation dans la gare”. Les étudiants du DSAA Design de Rennes, qui ont mené cette semaine quatre expérimentations ont bien relevé cette contradiction et deux groupes ont testé une animation conviviale en gare de Montfort sur Meu : une boite à livres, testée en partenariat avec la Médiathèque de la commune, offrait aux usagers la possibilité d’emprunter (sans inscription et sans retour obligatoire) une vingtaine d’ouvrages. Résultat : une bonne moitié des livres ont circulé et la plupart sont revenus en gare ou en médiathèque. Un autre groupe a testé l’animation de jeux en gare et les retours sont plutôt positifs : toutes les énigmes ont été résolues en deux jours et les usagers ont apprécié ! De notre côté, nous avons aménagé une “étagère utile”, toujours en gare de Montfort sur Meu : sur la vingtaine d’objets (DVD, gadgets, gourde, magasine, etc.) offerts à qui le voulaient, en restaient la moitié à la fin de la semaine. Aucun objet n’y a été déposé par les usagers ; cela prend certainement plus de temps de donner que de prendre ! Mais qu’à cela ne tienne, nous reviendrons en troisième semaine, avec le soutien de la médiathèque et de l’association locale Cêhapi pour animer  cette étagère utile.

Derrière ces expérimentations se cache l’épineuse question de “l’occupation de la gare”. Souvent espérée mais jamais vraiment réalisée, cette idée d’en faire un lieu de vie peut faire rêver : imaginez un lieu ouvert à tous, qui accueille des activités pour tous publics, qui favorise les rencontres entre habitants. Mais derrière cette image d’Épinal se pose un certain nombre de questions : est-ce réaliste pour toutes les gares TER ? Comment rendre ce lieu financièrement viable ? Qui pour occuper lieu et le faire vivre ? Mais aussi quid de l’animation en gare ? Est-ce à une association de bénévole de s’en charger ? Plutôt à la Région, à la SNCF, ou encore à la collectivité locale ? Et si c’était l’agent de gare qui s’en chargeait, cela donnerait quoi ?

 

Et le rôle de l’agent de gare dans tout ça ?

Depuis le lancement de la résidence, nous sentons que le sujet de l’agent de gare est très sensible. Alors que les gares TER bretonnes sont progressivement rénovées et mises au norme PMR (personnes à mobilité réduite), la question du bâtiment gare, souvent vétuste, se pose à chaque fois : rénover, raser ou reconstruire ? Quelles missions pour  l’agent en gare alors que l’écrasante majorité des usagers sont des abonnés qui ne font que passer ? Mais quid des autres usagers et du service public ? Et que faire en cas de problèmes ?

La question est difficile et aux regards de nos deux premières semaines, il est clair que le rôle de l’agent de gare est aujourd’hui en transition : missions quotidiennes hors de leur fiches de postes, horaires variables et parfois décalés des flux de voyageurs, rumeurs de fermetures de gares, etc. Comme il ne nous a pas été permis d’organiser une rencontre entre guichetiers de la ligne Lamballe-Rennes, nous avons échangé individuellement avec certains d’entre eux. Nous les avons notamment fait réagir sur des photomontages qui présentent des scénarios extrêmes. La plus part de ces scénarios ne sont pas si farfelus et dans les faits, les agents de gare exerçant bien plus de missions que la vente et le conseil aux usagers.

Nous avons ainsi découvert que l’agent connaît bien les utilisateurs de sa gare. Et quand une perturbation intervient, il ou elle fait le lien entre les usagers : ce fut le cas à la Brohinière ce fameux “mercredi noir”. L’agent présent a ainsi suggéré et favorisé la création d’équipages de covoiturage entre usagers. C’est l’un des enseignements tirés par le groupe d’étudiants présent sur place et travaillant justement sur ce mode de transport alternatif. Lorsque le réseau dysfonctionne, l’agent peut aussi avoir un rôle d’animation. C’est une idée qui mériterait selon nous d’être creusée.

 

L’usager référent, animateur de communauté ?

Aux côtés de l’agent en gare, sur les haltes où il n’est pas présent, des “usagers référents” ne pourraient-ils pas endosser ce costume d’animateur de communauté ? En contre-partie d’une réduction du tarif TER, un abonné ne pourrait-il pas organiser du covoiturage en cas de problème, mais aussi en temps normal pour récupérer les enfants après le travail par exemple ? Ne pourrait-il pas être le lien privilégié entre les agents présents en gares à proximité et les autres usagers ? Encore une piste qui mériterait d’être expérimentée pour valider ou non sa pertinence.
Après ces deux premières semaines de résidence, il est encore difficile d’affirmer que la communauté d’usagers TER soit une bonne idée : elle n’existe pas vraiment hors des perturbations et quand tout va bien, le “chacun chez soi” semble convenir à tous. Mais c’est quand cela coince qu’apparaissent des pistes intéressantes : les uns s’auto-organisent, les autres s’appuient sur l‘agent en gare quand il est présent. De là à imaginer une gare auto-gérée ou un agent en gare animateur de communauté il n’y a qu’un pas. Mais peut-être que l’histoire des communautés d’usagers débute dans ces moments là et va progressivement au delà d’un trajet partagé ?!